Tuesday, August 7, 2007

HOMMAGE AU PROFESSEUR J. PATRNOGIC

Le Professeur Jovan Patrnogic était né le 17 août 1921 en Yougoslavie. Il est décédé le 6 mai 2007 à son domicile à Genève. Nous voudrions ici lui rendre hommage et présenter toute notre sympathie à sa famille. L'Institut lui doit beaucoup, tout comme le droit international humanitaire et les organisations pour lesquelles il a donné tant d'énergie, d'intelligence et d'habileté jusqu'à la fin.

Initiateur et co-fondateur de l'Institut international de droit humanitaire, il a inspiré l'Institut depuis les démarches qui ont mené à sa création jusqu'à la préparation des réunions statutaires de septembre 2007 qui confirmeront son renouvellement.

II a vécu le droit international humanitaire dans sa théorie et sa pratique, a été victime de ses violations quand il a été prisonnier mais a aussi bénéficié de sa protection en tant que réfugié : jeune homme, il a subi l'occupation de son pays pendant la Seconde Guerre mondiale, a participé à la résistance, a été capturé, torturé. Après la guerre, rencontrant un de ses tortionnaires dans les rues de Munich, il lui a pardonné. Sur le plan professionnel, il a été Colonel de l'Armée yougoslave, Doyen de la Faculté de Droit de Pristina, Secrétaire Général de la Croix-Rouge yougoslave.

Réfugié en Suisse, il y a été accueilli par son ami Jean Pictet, alors Vice-Président du CICR, a ensuite collaboré au CICR, à la Fédération internationale des Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, au Haut-Commissariat pour les Réfugiés, où il a été Directeur de la Protection. Il a aussi été Professeur à la Faculté de Droit de Genève et Médiateur au Tribunal Arbitral du Sport (Court of Arbitration for Sport) du Comité International Olympique. Il a été Vice-Président de la Commission Médico-Juridique de Monaco. Il a donné des cours sur le droit international humanitaire en Corée, aux Etats-Unis, en France, en Italie, en Suisse.

Pionnier, il l'a été dans de nombreux domaines, et en particulier dans le cadre de l'Institut de San Remo, où il a promu

- des formes originales de dialogue humanitaire pour la codification du droit international humanitaire, en jouant un rôle décisif pour surmonter les obstacles que rencontrait la Conférence diplomatique sur le droit humanitaire (CDDH) en vue de l'adoption des deux Protocoles additionnels de 1977 ; les réunions informelles de San Remo ont permis, dans une atmosphère conviviale, de surmonter des impasses et d’aboutir à un accord ;

- des cours de formation du personnel militaire en droit humanitaire de manière pratique et intégrée aux cours pour officiers, avec l'appui du Colonel EMG Frédéric de Mulinen, officier d'Etat-Major suisse mis à la disposition de l'Institut par le CICR;

- une clarification du droit humanitaire dans le domaine de la guerre navale, avec le Manuel de San Remo ("San Remo Manual on International Law Applicable to Armed Conflicts") en 1995;

- sa mise en oeuvre par des réunions Est-Ouest avant la chute du Mur de Berlin et, ensuite, par des rencontres, en terrain neutre, des protagonistes du conflit qui déchira son pays d'origine, la Yougoslavie.

Pacifique, il était aussi combattif et tenace, faisant des miracles avec des moyens limités, sachant mobiliser un vaste réseau d'amis et de bonnes volontés pour l'Institut. Il a ainsi su attirer à San Remo l'élite des juristes internationaux, des organisations internationales, des académies militaires. Il a même réussi à gagner des artistes comme Barbara Hendriks et Peter Ustinov à la cause du droit humanitaire.

Très fier des 35 années de dialogue humanitaire de l'Institut, il se préoccupait aussi de l'avenir: ayant assuré pour l'Institut des avantages appréciables de la part des Autorités italiennes, suisses et genevoises, il cherchera, ces dernières années, à s'assurer de nouveaux partenariats, dont l'accord avec l'Institut du Droit de la Paix et du Développement de l'Université de Nice marquera la reconnaissance internationale, sur le plan académique, de la valeur des cours de San Remo.

Jovica (c'est ainsi que ses amis le connaissaient) Patrnogic a marqué l'Institut, et bien davantage encore. Il a certainement donné une dimension nouvelle à San Remo. Il a aussi permis à Genève de développer sur les rives de la Méditerranée une attitude informelle parfois difficile dans la ville de Calvin. Il a aussi créé un « esprit de San Remo », empreint de sérieux, d’humanisme et de respect mutuel, une atmosphère détendue permettant à des experts et représentants officiels de débattre informellement et concrètement des questions difficiles, souvent de brûlante actualité. Il a ouvert le droit humanitaire en montrant clairement, à travers tant de réunions et de publications de l'Institut, son lien étroit avec le droit international public, avec la justice internationale, avec la sécurité internationale, avec la paix, son interaction nécessaire avec les droits de l'homme, avec le droit des réfugiés, avec la protection de l'environnement, avec la protection des biens culturels, avec la limitation des armements. Au delà des normes et des institutions, des traités et des mécanismes, il a plaidé pour des règles simples, concrètes, universellement applicables.

Que sa famille soit remerciée: longtemps, alors que d'autres choisissaient, comme il le disait, "la dolce vita", il a passé journées et soirées à rassembler à San Remo diplomates, militaires et experts de tous bords pour faire progresser le droit humanitaire, sa compréhension, la formation des personnes qui devront l'appliquer, sa mise en oeuvre concrète.

Le Professeur, comme beaucoup l'appelaient, nous laisse un lourd héritage. La tâche de ceux qui lui succéderont ne sera pas aisée pour poursuivre et renforcer ce qu'il a établi avec autant de persistance, d'intelligence, d'habileté et de dévouement, avec la coopération d'un vaste réseau d'amitiés et de complicités, à travers les continents, les tendances politiques, les institutions et les gouvernements. Il a marqué l'Institut, certes, mais aussi tant de personnalités et d'individus, ici et ailleurs. Il nous faut maintenant reprendre et continuer le meilleur de ce qu'il nous laisse, ensemble.

MV

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